LE LIVRE

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« Souvent l'intelligence n'est qu'une saloperie à la surface de l’âme. »
Dominique de Roux




Voltaire savait qu’avant d’être synonyme de bêtise, le mot « idiotie » – ἰδιώτης – désigne la singularité, et Clément Rosset d’ajouter que l’idiot est aussi celui qui n’a ni reflet, ni double, dont le mode d’accession au réel n’est pas pollué par les circonvolutions de l’intellect. L’idiot n’est-il pas celui qui maîtrise un idiome, langage idiosyncrasique dont le sens échappe au plus grand nombre ?

Le monde fourmille de paltoquets qui se pensent intelligents, et de salopards qui se croient charitables. A l’outrecuidance des imbéciles, les enfants mongoliens opposent l’humilité de l’idiotie. Il est exact que leur performance à résoudre les tests psychométriques reste strictement limitée. Oui, les trisomiques ne possèdent pas un QI élevé ; ils le savent et ils en rient. Mais que mesure le QI sinon l’aptitude à résoudre un test de QI ? Celui qui croit y discerner une échelle de l’intelligence doit avoir une vision piètrement étroite de l’âme humaine et de ses capacités d’appréhension du réel.

Mais contre les idiots mongoliens l’eugénisme d’État ne s’est jamais aussi bien porté, appliqué chaque jour avec zèle et bonne conscience, relayé par l’opinion dominante et les multinationales pharmaceutiques. Dans le silence des blocs, la traque aux fœtus incorrects ne se termine jamais.

Il fut une époque où rencontrer un enfant trisomique était chose commune. Mais le Progrès a depuis fait son œuvre : les petits mongoliens ont désormais quasiment disparu de l’horizon de nos villes. Voici une réalité difficilement acceptable : une population humaine porteuse d’une spécificité génétique est aujourd’hui l’objet d’une politique d’élimination généralisée.

Le professeur Lejeune regrettait qu’il n’existât pas un Molière capable de ridiculiser cette froide époque où il semble préférable de supprimer le malade plutôt que de dominer la maladie. Et l’on n’ose imaginer ce qu’Erasme ou François Rabelais auraient pu écrire en ce monde traversé par un indicible slogan : Gloire aux imbéciles. Mort aux idiots.

Sur cette planète grabataire chaque jour plus soumise à l’hydre de la technique, offerte à la loi des marchés, inféodée aux algorithmes, assujettie au contrôle social, astreinte aux manipulations du vivant, enchaînée aux diktats de la génétique, cerclée d’imprécations sécuritaires, intoxiquée de transhumanisme, nos vies et nos âmes exigent une vigueur nouvelle. Contre le meilleur des mondes et ses mirages techniciens, l’écologie humaine doit porter la voix de l’être fragile.


Bruno Deniel-Laurent

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Éloge des phénomènes
Texte de Bruno Deniel-Laurent
Editions Max Milo
64 pages
9, 90 €
Sortie : 20 mars 2014
ISBN : 978-2-315-00497-3

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